Contexte et enjeux

Les inégalités : un vif débat dans la société française

Le débat sur les inégalités est vif dans la société française et alimente nombre de controversesBien sûr, le thème des inégalités est présent dans toutes les sociétés humaines, mais peut-être les sociétés très hiérarchisées, telle celle décrite par Louis Dumont dans son étude du système descastes (Dumont, 1966), y portent-elles paradoxalement moins d’attention, bien qu’elles soient, selon nos critères, très fortement inégalitaires. Comme le rappelle Louis Dumont, ce système hiérarchique n’est pas un système de stratification sociale au sens où nous l’entendons pour décrire la hiérarchie sociale de nos propres sociétés. Les oppositions qui les définissent son tplutôt fondées sur un système de valeurs que sur des statuts au sens strict. C’est précisément la constitution de ces statuts, et la relative égalisation des conditions qui l’a accompagnée qui ont contribué à attiser le désir d’égalité (Tocqueville, 1856) et à le fonder comme un principe et une valeur et rendu plus intolérables les atteintes qui lui sont portées.

La France : un cas d’école ?

En effet, ce pays est sans doute un de ceux, parmi les pays développés, où l’écart entre la mesure des inégalités, telle qu’elle est produite par les indicateurs statistiques habituellement utilisés (OCDE, 2008), et le sentiment subjectif qu’ont les Français à ce sujet, est le plus grand. Sur ce dernier point, des travaux réalisés par certains des partenaires de ce projet (Forsé, Parodi, 2010) ont apporté des éléments empiriques convaincants à partir de l’exploitation d’enquêtes comparatives internationales (notamment le International Social Survey Program).  Ils ont montré qu’un consensus se dégageait pour juger les inégalités trop fortes, même si les personnes interrogées reconnaissent la légitimité d’une certaine différenciation salariale au nom du principe de mérite ou de récompense des efforts individuels.

Plus récemment, une grande partie des membres de l'équipe actuelle a mené une grande enquête sur « les Français face aux inégalités et à la justice sociale », dite enquête PISJ (Perception des inégalités et des sentiments de justice) (Forsé, Galland, dir., 2011) qui élargit la gamme des types d’inégalités prises en compte et multiplie des angles d’approche sur la question des inégalités et de la justice sociale. Cette enquête confirme que la représentation des inégalités n’est pas, loin s’en faut, un simple décalque des inégalités mesurées ou des inégalités subies. Les Français se retrouvent, de manière très large, pour juger la société extrêmement inégalitaire bien qu’eux-mêmes s’estiment, très souvent, épargnés. La représentation des inégalités n’obéit donc pas, principalement, à un processus d’extrapolation de la situation individuelle, par un mécanisme additif, à l’ensemble de la société.

Ces résultats invitent donc à pousser plus avant l’investigation sur le processus de formation de ces opinions.

Il y a un intérêt scientifique évident à explorer la dynamique de formation de ces représentations pour tenter de comprendre leur genèse et la façon dont elles contribuent, de manière en partie indépendante du système de stratification sociale lui-même, à construire la question des inégalités dans la société.